Acer pseudoplatanus - Erable sycomore
LE SYCOMORE par Toto25
L’érable sycomore est un arbre de belle facture, commun dans la plupart des forêts de France. On le rencontre surtout en montagne, jusqu’à 1800 m d’altitude, accompagnant volontiers l’épicéa, le sapin et dont le copinage avec le hêtre est lié à un sol frais et à une atmosphère humide.
Cette espèce prend sa pleine mesure en milieu forestier, pouvant vivre de trois à cinq cents ans. Il peut, dans des conditions propices, devenir majestueux.
C’est une espèce colonisatrice aux larges feuilles cordiformes de 10 à 25 cm de diamètre qui tombent à la première gelée.
Cinq espèces d’érables se trouvent à l’état spontané sur le territoire français :
L’érable sycomore, le plus commun (Acer pseudoplatanus),
L’érable champêtre (Acer campestre),
L’érable plane (Acer platanoïdes),
L’érable de Montpellier (Acer monspessulanum),
L’érable à feuilles d’obier (Acer opalus).
Feuilles et samares d’érable sycomore (L’érable - ACTES SUD).
Un érable sycomore centenaire - Jura français
(Au centre de la photographie).
L’écorce du sycomore à l’âge adulte, grisâtre à roussâtre, se désquamant en plaques écailleuses.
Dans la mythologie grecque, l’érable était dédié à Phobos, dieu de l’épouvante. Associé à son frère Déimos, dieu de la frayeur, il harcelait les troupes de guerriers antiques.
Ne soyons pas ces soldats d’un autre temps, plein d’effroi et de crainte face au sycomore. Il mérite toute sa place dans nos collections, comme d’autres, bien plus glorieux.
Certes, l’érable sycomore ne se dévoile pas si facilement. Le chemin est long, semé d’embûches ; ici de larges feuilles, là une ramification frustre.
La nature est belle, riche et diverse. Puissions-nous en être dignes.
Pour ces raisons et le défi qu’il nous impose, le sycomore me semble être l’arbre d’une vie de bonsaïka.
Jura français (juin 2009). Fructification de l’érable.
Sept érables sycomores pour un tableau très champêtre.
Jura français - novembre 2009
Voici vingt ans de travail avec un sycomore prélevé, long cheminement et dur apprentissage résumé, je vous rassure, en quelques photographies.
Sur le cliché qui suit, nous pouvons voir, grosso modo, l’arbre tel qu’il se présentait lorsque je l’ai découvert ; en position quasi verticale, le tronc déjeté de la paroi et les branches tournées vers les cieux. Bref, ridicule le syco, indigne de son espèce et de la flore arborescente. Quant à en faire un bonsaï ?! ...
L’arbre se trouvait accroché à un talus rocheux, fort pentu, à 1000 m d’altitude.
Les racines plongeaient dans les anfractuosités de la roche (heureusement assez friable dans cette zone géographique) et les branches s’élevaient vers le ciel, à la recherche de la lumière.
L’imminence des travaux d’arasement du talus m’inscita à prélever l’arbre à l’automne 1989 (prélèvement autorisé).
L’arbre sera placé dans une caisse en bois, dodue à souhait, pour faciliter la reprise et l’émission des racines. Il passera son premier hiver à l’abri dans le garage avec quelques compagnons d’infortune.
L’arbre pendant l’hiver 1990.
L’arbre sera redressé, solidement attaché à son pot de bois et hivernera tranquillement près du chauffe-eau.
Au cours de l’année suivante, il donnera des signes évidents de santé, faisant de longues pousses en explosant de partout. Il bénéficiera, pendant cette année là, du soleil matinal, de bons arrosages et d’engrais organique justement distribué.
Les racines semblaient très intéressantes, compatibles avec la forme neagari ou forme à racines apparentes. Par contre, la partie supérieure, comprenant le tronc et les branches, était totalement inadaptée.
J’ai donc pris la décision de rabattre cette zone supérieure en m’appuyant sur la capacité du sycomore à rejeter des rameaux à partir de la souche.
La coupe se fera selon l’axe indiqué sur le cliché, fin-mars 1991. Le comptage des cernes annuels établira l’âge du monstre à 17 ans, l’année de naissance étant fixé à 1974.
L’arbre jettera 5 pousses sur la zone de coupe (flèche 1) dont 3 seront sélectionnés en raison de leurs emplacements (une seule pousse est visible sur la photographie).
La flèche n°2 nous indique le rameau sera sélectionné comme tronc principal.
La flèche n°3 nous montre une plaie (contact avec la roche) qui sera nettoyée et parée et dont la largeur était de 3 cm et la longueur d’environ 17 cm. La cicatrisation est sur le point d’aboutir, vingt ans plus tard, comme en témoigne la photographie suivante.
Dans deux à trois ans, la cicatrisation sera totalement acquise.
Qui a dit que le Bonsaï était un art de l’éphémère ?
L’ensemble de ces racines (flèches) sera progressivement retiré, n’ayant ancun intérêt esthétique.
Cela posera d’autant moins de problème que les grosses racines apparentes avaient fait, entre temps, leur plein de radicelles, assurant la survie de l’arbre et facilitant la mise en place future du sujet dans un pot beaucoup plus plat.
La première floraison à l’âge de trente ans.
Chez le sycomore, les fleurs apparaissent en même temps que les feuilles. Les fleurs sont régulières et verdâtres, en panicules allongés et pendants, pédonculés.
La première floraison a lieu, pour cette essence, entre l’âge de vingt et trente ans.
"Prêcher la chasteté aux érables" est une expression italienne identique à notre "parler dans le désert" tant l’érable bonne de fruits. Symbole de modestie, il est aussi l’image de la fécondité.
Acer opalus - Fleurs en corymbes (florealpes.com).
A la différence du sycomore, les fleurs de l’érable à feuilles d’obier sont disposées en corymbes et non en grappes.
L’érable en novembre 2007 (après un premier coup de gel).
Quelques années ont passées depuis le prélèvement et les premiers soins prodigués à cet arbre. Désormais tout semble en place :
— Les trois troncs obtenus à partir de la coupe radicale de 1991,
— Une ramification honorable,
— L’arbre dans sa poterie,
— L’emplacement de l’arbre dans la poterie.
Mais rien n’est jamais acquis en bonsaï.
Les trois troncs sélectionnés et la ramification en cours.
— Le plus gros des troncs s’incline sur la gauche puis repart légèrement sur sa droite avant de se ramifier,
— Le tronc moyen est incliné vers la droite et l’arrière,
— Le petit vers la droite et l’avant.
Désormais et depuis quatre ans, le travail principal est celui de l’élaboration d’une ramification fine et suggestive. La partie supérieure du bonsaï n’a que 17 ans d’âge et le tout doit vieillir tranquillement pour acquérir de la patine et prendre le titre de vénérable.
Compte tenu de l’avancée de notre bonsaï, je décidai pour l’année 2008, de préparer le sycomore à être exposé, exposition fictive mais défi bien réel pour le néophyte que je suis.
Finalement, le printemps se déroulera comme d’habitude. L’arbre ne sera pas rempoté cette année là. Il bénéficiera d’un apport d’engrais organique, en quantité restreinte, au début du mois de mai.
La défoliation aura lieu vers le 5 juin 2008.
Toute les pousses obtenues après la défoliation seront pincées, dès leurs apparitions, à la première paire de feuilles. Aucune sélection ou supression de bourgeons ne sera pratiqué. Seules quelques feuilles, grandes et mal placées, seront retirées avant la présentation et la photographie.
Le sycomore
Acer pseudoplatanus
34 ans - 50 cm de hauteur ; issu d’un prélèvement
Forme à racines apparentes (neagari)
Céramique chinoise vernissée, de couleur gris beige à roussâtre rappelant l’écorce des sycomores
La lèvre supérieure du pot est arrondie en harmonie avec l’aspect des racines
L’arbre poursuit sa maturation d’un train de sénateur. Il me donne tout et me comble de joie.
Ainsi va la vie d’un bonsaïka.
C’est ce tableau de John NAKA qui m’a librement inspiré et guidé dans la création de ce bonsaï de sycomore.
John Yoshio NAKA - Technique du bonsaï 1, page 222
Forêt battue par le vent ; le grand espace vide, à l’opposé des arbres, symbolise la mer.
Cette étude remarquable explore le mouvement et ses relations à l’espace.
La disposition des arbres - à l’extrémité du pot et surélevés - ainsi que le mouvement des troncs libèrent l’espace à droite (la mer) et suggèrent le sens des vents dominants ; simplicité et grand pouvoir d’expression.
En ce qui concerne notre bonsaï, voici les principes d’esthétique qui ont gouverné à son élaboration.
Huit angles sont habituellement examinés pour définir la face avant d’un futur bonsaï. En l’occurrence, une seule face était plausible, celle en place actuellement, mettant en exergue la beauté saisissante des racines.
Le mouvement des racines, la position de l’arbre dans le pot, très déjeté à droite, libère un vaste espace gauche et génère un grand dynamisme.
Le tronc principal, contrairement aux deux autres qui sont fortement inclinés à droite (suivant en cela le mouvement des racines), est orienté sur la gauche avant de se redresser ; cela apporte un peu de stabilité à ce bonsaï très dynamique et plein d’allant.
Ainsi structuré, l’arbre nous invite à plonger dans ce grand espace gauche, lieu de l’imaginaire, lieu de silence méditatif.
LE SYCOMORE BONSAÏ.
Conseils pour une culture raisonnée.
L’érable sycomore pose des problèmes techniques difficiles nécessitant quelques connaissances de base. Ce travail, que je propose à votre sagacité, est le fruit de ma pratique et n’engage que ma personne et mon expérience. Il est le reflet de mes connaissances actuelles et s’enrichit au fil du temps.
1) Considérations générales.
— Une croissance rapide les premières années,
— Des rejets faciles à partir de la souche lorsque l’arbre est coupé,
— Une pousse généreuse lors du débourrement,
— Des ramifications peu nombreuses et grossières,
— Des difficultés à cicatriser et parfois une cicatrisation hypertrophiée,
— L’amélioration lente du tronc, de l’aspect de l’écorce et des ramifications,
— Des grandes feuilles au rendez-vous des yamadori,
— La maladie des tâches noires,
— Une espèce sensible au chancre,
— Le port naturel du sycomore, simplement majestueux.
2) La ramification.
3) La structuration et la mise en place de la ramification.
— Première situation, celle d’un arbre en formation issu d’un semis ou d’un jeune plant de pépinière ou de prélèvement :
* Les pincements de la pousse apicale,
* La défoliation.
— Deuxième situation, celle d’un arbre déjà structuré au niveau du tronc et des branches primaires :
* Le pincement printanier,
* La défoliation,
* La taille d’été,
* La taille de fin d’hiver, travaux pratiques,
* En résumé, les gestes que nous réaliserons année après année,
* A part et pour mémoire, la taille de structure.
4) Les autres gestes de culture.
— L’exposition,
— L’arrosage,
— L’amendement.
5) L’esthétique.
6) De la taille des feuilles ... à la grandeur d’âme du bonsaïka.
1) Considérations générales :
La culture en pot doit tenir compte des contraintes que nous impose cet arbre, d’ailleurs variables en fonction de son âge :
— Une croissance apicale rapide les premières années :
Les tiges poussent vite les premières années dans le sens de la hauteur. Proportionnellement, le grossissement du tronc est plus lent ; ce problème sera corrigé par des pincements répétés de la pousse apicale favorisant la formation des branches basses, améliorant doucement l’accroissement en diamètre du tronc et la conicité.
— Des rejets faciles à partir de la souche lorsque l’arbre est coupé :
C’est une particularité (non une exclusivité) de cette espèce que de pouvoir émettre des rejets sur souche et cette caractéristique peut être utile à l’élaboration d’une forme à troncs multiples.
— Une pousse généreuse lors du débourrement :
Au printemps, l’érable sycomore présente une pousse vigoureuse. L’engrais, à décomposition lente, sera appliqué une semaine après l’ouverture des feuilles donc sans conséquence sur la taille du feuillage et des entre-noeuds. D’une manière générale, utilisez un engrais peu dosé en azote.
Le calendrier général de distribution de l’engrais peut s’envisager comme suit :
— L’arbre est jeune, en cours de formation :
* Application d’engrais organique une semaine après l’ouverture des feuilles, le plus souvent mi-avril en fonction des régions,
* Défoliation possible début du mois de juin,
* Application d’engrais organique de mi-août jusqu’à fin novembre.
— L’arbre est formé, la ramification est en cours :
* Application d’engrais organique en quantité plus restreinte de mi-août jusqu’à fin novembre, mi-avril si des travaux sont prévus en juin (taille, défoliation).
Le dosage subtil des quantités nécessaires d’engrais s’acquière avec le temps. Il dépend de paramètres divers tels que l’état de santé de l’arbre, son comportement l’année précédente, l’importance des tailles et des travaux réalisés, l’état du substrat. L’influence sur la qualité de la ramification découle principalement du triptyque soleil, arrosage et engrais.
Comptez les boulettes d’engrais dispensées ; cela permet d’ajuster l’amendement les saisons suivantes, aussi finement que possible. Ne pas oublier que le sycomore génère des pousses vigoureuses, épaisses, aux entre-noeuds parfois très longs.
— Des ramifications relativement peu nombreuse et grossières :
Inutile de s’évertuer, la ramification du sycomore ne sera jamais celle d’un Zelcova. Il faudra éviter, malgré tout, les entre-noeuds trop longs et les pousses de l’année épaisses et rigides.
Belle ramification d’un sycomore centenaire.
A l’évidence, de nombreuses années sont nécessaires pour obtenir une ramification honorable. La taille seule n’y suffit pas ; s’y ajoute la maitrise de l’arrosage, un soleil généreux et le dosage juste de l’amendement ; bref, l’association du savoir théorique et pratique au chevet d’un arbre de culture facile mais de gestion complexe.
— Des difficultés à cicatriser et parfois une cicatrisation hypertrophiée :
Cicatrice sur tronc de sycomore bonsaï. Noter les cernes annuels au nombre d’une dizaine. L’écorce, en vieillissant, absorbera parfaitement la cicatrice.
Pour pratiquer l’ablation de branches d’un diamètre important, utilisez une pince concave car le bourrelet de cicatrisation est conséquent. Cette pratique permet d’éviter, autant que possible, les cicatrices hypertrophiées inesthétiques.
La cicatrisation est lente, mais me semble-t-il, pas beaucoup plus que pour le hêtre. Sur les plaies larges, appliquer une pâte protectrice car le bois sous-jacent est assez tendre et le risque de chancre n’est pas nul.
Pour les rameaux plus fins et d’extrémité, je préfère couper en laissant un moignon favorisant une ramification naturelle faite de ruptures successives.
— L’amélioration lente du tronc, de l’aspect de l’écorce et des ramifications :
Sycomore bonsaï - maturation de l’écorce en cours.
L’écorce juvénile du sycomore est d’abord blanc gris jaunâtre puis gris rougeâtre ; enfin l’écorce se craquelle en plaques écailleuses de couleur gris beige rosé à roussâtre. Il faut plusieurs dizaines d’années pour aboutir à une écorce mature.
En pot, le tronc grossit lentement, d’environ 3 à 4 cm en quinze ans. L’avantage est de maîtriser un temps soit peu la ramification. En pleine terre, le sycomore grossira plus vite mais en contre partie, l’exubérance des pousses annuelles sera plus difficiles à contenir.
Si le sycomore est travaillé en pot de culture, le rempotage se fera tous les ans pour les jeunes plans, tous les deux ans pour des pré-bonsaï, tous les trois ans pour des bonsaï plus établis (chiffres indicatifs).
A noter paramètre remarquable, la capacité du sycomore à fusionner au niveau des troncs ; cette technique permet d’améliorer une base d’arbre, une base racinaire voire d’obtenir un tronc en associant plusieurs jeunes plans.
Erable sycomore de montagne issu de deux troncs fusionnés.
Jura français (novembre 2009).
— De grandes feuilles au rendez-vous des yamadori :
Les dimensions de la feuille du sycomore nous impose de créer un arbre de grande teille afin d’améliorer l’harmonie entre la taille de l’arbre et celle des feuilles. Les plus vertueux d’entre nous pourront s’essayer à travailler des arbres de taille plus modeste ; il faudra alors maîtriser l’équilibre entre l’arrosage le soleil, le substrat, la taille et la quantité d’engrais forcément restreinte. A noter la possibilité de trouver en pépinière des plans de sycomore dont les feuilles sont naturellement de taille raisonnable (environ 10 cm).
Ce sycomore, acheté en pépinière, est en cours de structuration bonsaï. Les feuilles mesurent de 6 à 10 cm, sans aucune intervention spécifique pour en réduire les dimensions.
— La maladie des tâches noires (Rhytisma acerinum) parfois présente sur les arbres prélevés :
Maladie des tâches noires sur feuilles d’érable sycomore.
(Google images - Rhytisma acerinum).
Signes caractéristiques :
Présence de juillet à octobre de tâches noires goudronneuses, cernées d’un liseré jaune, entrainant une perturbation de la photosynthèse, la chute des feuilles et, au pire, une perte de croissance de l’arbre. Eliminer très rapidement et brûler les feuilles d’automne qui jonchent le sol, pour couper court au cycle du champignon (du type Ascomycète).
Au chapître des parasites et maladies, notons aussi les classiques cochenilles et l’oïdium, plus volontiers rencontré sur la nouvelle génération de feuilles après défoliation.
— Une espèce sensible au chancre, requérant la protection des plaies :
La taille doit être pratiquée avec des outils propres et bien affûtés et les plaies recouvertes de pâte de protection. D’une manière générale, le bois mort n’est pas présent sur les sycomores dans la nature. Laissons donc les jin, shari et autres miki (uro ou saba de petit nom) à des espèces plus adaptées.
— Le port naturel du sycomore, simplement majestueux :
Erable sycomore bicentenaire - Jura français (novembre 2009).
Le port naturel du sycomore comprend un tronc cylindrique et droit portant un houppier ample, assez dense, formé par de grosses branches obliques et ascendantes.
Noter le mouvement harmonieux des branches basses à droite ; à méditer pour la formation de nos feuillus bonsaï.
2) La ramification :
Objet de tous les désirs, de toutes les craintes ou de toutes les colères, la ramification du sycomore est un défi en soi. Posons les problèmes et examinons tranquillement comment notre sycomore se comporte dans la nature.
Pousse apicale du sycomore (acrotonie).
Photographie prise en milieu naturel.
Les troncs sont âgés d’environ 10 ans. Les entre-noeuds sont longs et la ramification est de type secondaire, rarement tertiaire.
Lente amélioration de la ramification sur un sycomore âgé de 50 à 60 ans.
Ramification d’un sycomore centenaire, d’une beauté sauvage.
Les branches et les rameaux se déroulent en une multitude de ruptures successives. Il émane de cette architecture spécifique du rythme, de l’énergie et une grande force d’expression. A noter, de temps à autre, une courbe plus molle apportant une note d’étrangeté à l’ensemble.
Bien du temps sera nécessaire pour obtenir une belle ramification sur nos bonsaï.
Deux armes essentielles sont à notre disposition : la patience et une paire de ciseaux.
Pour la patience, je ne peux rien pour vous.
De fait, c’est la taille aux ciseaux qui façonnera une ramification naturelle faite d’angles et de ruptures. La ligature n’a pas vraiment sa place ; s’il s’agit de courber des tiges raides et longues alors vaut mieux les retirer. Par contre, le haubanage au raphia est tout à fait opportun, permettant de placer les branches secondaires et tertiaires.
Ne pas oublier d’ériger les branches dans les trois dimensions de l’espace et de tenir compte de cette caractéristique des sycomores à produire des feuilles opposées pour judicieusement sélectionner les bourgeons.
Ne soyez pas trop systématique en ne sélectionnant que des bourgeons et rameaux extérieurs. Laissez-vous surprendre par un bourgeon intérieur, un petit rameau filant légèrement vers le bas ou vers le haut ; ne les supprimez donc pas radicalement.
L’examen de la ramification est, à ce titre, tout à fait édifiant :
Enfin, laissez un moignon d’environ un centimètre morsque vous supprimez un rameau.
Reprenez le plus tard en le coupant à la perpendiculaire de la branche. Ainsi, vous reproduirez les angles et les ruptures qui font la beauté de la ramification des sycomores dans la nature.
La flèche A nous indique le moignon d’un rameau qui a été coupé selon le même axe que la branche. Il doit être repris et coupé à la perpendiculaire de la branche comme indiqué par l’axe rouge en B ; cela entrainera, après cicatrisation, un bel angle très naturel.
Pour parer à une ramification frustre, il serait tentant de multiplier le nombre de rameaux tertiaires. Pourtant ce procédé alourdit visuellement les branches et ne doit pas être la solution à terme. Il semble plus avisé de limiter le nombre de rameaux tertiaires et de multiplier les rameaux de niveau 4, aux entre-noeuds courts.
3) La structuration et la mise en place de la ramification :
Pour mener à bien un projet de structuration et d’élaboration d’un sycomore bonsaï, deux situations bien différentes sont à distinguer :
— Première situation, celle d’un arbre en formation issu d’un semis ou d’un jeune plan de pépinière ou de prélèvement :
* Le sycomore présente une croissance rapide les premières années, jusqu’à 50 cm par an dans la nature, soit 10 m en 20 ans.
* Il s’agit d’une croissance apicale, l’arbre cherchant d’abord à s’élever et à faire du tronc. Il faudra donc le contraindre à former des branches, sans quoi le risque est grand de se retrouver avec un tronc grêle, long et dégarni.
* Pour pallier à ce souci, on pratiquera des pincements répétés sur la pousse apicale en n’intervenant que modérément sur les pousses basses qui vont prendre de la force et grossir (équilibre et répartition des forces sur l’ensemble de l’arbre).
* La défoliation est envisageable et souhaitable à ce stade de structuration mais, entendons-nous bien, pas pour diminuer la taille des feuilles. Elle aura pour but d’obtenir des branches primaires puis des rameaux secondaires par émission d’une nouvelle pousse à la supression de la feuille (anticipé).
Les pincements répétés sur la pousse apicale ainsi que la défoliation partielle annuelle permettent :
— d’amorcer la formation des branches basses et la ramification,
— d’améliorer lentement la conicité,
— d’obtenir des courbes et du mouvement au niveau du tronc sans quoi, en le laissant pousser librement, on obtient un tronc raide.
Les pincements sur la pousse apicale se pratiquent :
— en rabattant rapidement la pousse apicale lors de la croissance printanière le plus souvent à la première paire de feuilles,
— en rabattant la pousse obtenue après défoliation là aussi à une paire ou deux paires de feuilles.
Les branches basses sont laissées libres de s’exprimer, éventuellement rabattues à deux ou trois paires de feuilles pour répartir judicieusement l’énergie et la force sur chaque branche et l’ensemble de l’arbre.
La défoliation partielle et ciblée au niveau des branches basses, fin-mai début-juin, permet d’obtenir, une même année, des anticipés amorçant la ramification de niveau 2 ; sur la zone apicale, l’anticipé formera la nouvelle pousse apicale.
Ce travail se répétera année après année, jusqu’à obtention d’une structure cohérente : tronc, branches primaires et rameaux secondaires. Une quinzaine d’années sont nécessaires ; viendra ensuite une phase où le travail principal sera celui de l’élaboration de la ramification fine de niveau 3 puis 4 avec des entre-noeuds courts.
— Deuxième situation, celle d’un arbre déjà structuré au niveau du tronc et des branches primaires :
A ce stade d’évolution de notre pré-bonsaï, nous utiliserons principalement quatre techniques pour améliorer la ramification.
1) Le pincement printanier : à pratiquer très rapidement après l’apparition de la première paire de feuilles. Au centre de celle-ci apparait une tigelle porteuse de la future deuxième paire de feuilles. Cette tige doit être coupée (dès qu’elle sera présente et abordable ) avec une paire de ciseaux.
Cette technique a pour but de limiter la vigueur et d’obtenir des entre-noeuds plus courts et moins épais.
2) La défoliation : a pour but, d’une part, d’obtenir des anticipés après la suppression des feuilles et, d’autre-part, de favoriser l’éclosion de bourgeons multiples ; deux conséquences très intéressantes chez cette espèce dont on sait la difficulté à faire une ramification suffisamment dense.
Il n’est pas nécessaire de défolier l’arbre dans sa totalité. On peut y laisser les feuilles de petite taille sur les zones faibles.
Pour défolier l’arbre, couper les pétioles à mi-distance entre le rameau et la base de la feuille. Immanquablement, deux à trois semaines plus tard, les bourgeons vont gonfler à la fois dans le cadre d’un bourgeonnement terminal mais aussi d’un bourgeonnement arrière.
Enfin, ces nouveaux rameaux d’été seront eux-aussi pincés à la première paire de feuilles.
3) La taille d’été :
Après défoliation, huit bourgeons sont apparus sur ce rameau de 5 cm.
Sur cet exemple, ce sont les deux bourgeons terminaux (flêche T) qui peuvent etre supprimés comme indiqué par la flèche rouge. Il restera alors six bourgeons (75%) qui se répartiront l’énergie et la sève.
Si nous ne conservions sur le rameau que les trois ou quatre bourgeons les mieux placés, alors le risque serait grand de voir les futures pousses s’épaissir et les entre-noeuds s’allonger, ce qui est contraire à notre attente.
Conservez donc la majorité des rameaux et des bourgeons afin de répartir l’énergie sur toutes les pousses. Supprimez, au fur et à mesure, les rameaux mal situés, top épais ou trop allongés en les remplaçant par des pousses plus adéquates ; ceci afin de garder l’équilibre et d’éviter que l’arbre s’emballe.
Ces règles prévalent pour la taille d’été mais aussi lors de la taille de fin d’hiver. Ces deux tailles sont qualitatives. Et, comme nous l’avons vu, l’une et l’autre supprimeront peu de rameaux à la fois.
4) Taille de fin d’hiver, travaux pratiques :
Trois zones issues d’une ramification secondaire.
(photographie prise en décembre).
Zone 1 (à gauche) : rameau tertiaire porteur de plusieurs rameaux de niveau 4 dont certains, au nombre de trois , ont des entre-noeuds courts.
Zone 2 (au centre) : belle ramification de niveau 4. Entre-noeuds très courts, de l’ordre de 1 cm.
Zone 3 (à droite) : grande pousse rigide et épaisse (aussi appelée baguette ou haricot) d’environ 5 cm, inesthétique et supportant trois pousses de niveau de ramification 3.
Chronologie des travaux :
Sur la zone 1 : suppression des deux rameaux marqués d’une croix noire avant le débourrement printanier (l’un file à la verticale vers le bas et l’autre est mal orienté). Seuls les deux rameaux (sur les onze que comptent les trois zones) sont retirés, ce qui permet de répartir l’énergie et d’éviter que l’arbre ne s’emballe. La défoliation peut se faire début-juin.
Au final et dans cette zone, tois ou quatre rameaux, les plus courts et les mieux placés seront sélectionnés au printemps suivant.
Sur la zone 3 : au sujet de ce rameau trop allongé qui ne porte malheureusement aucun bourgeon visible en deça de la pousse rigide de 5 cm (zone cerclée de noir), trois possibilités :
Des bourgeons faibles émergent au printemps au moment du débourrement dans la zone cerclée de noir. Laisser le tout pousser en veillant à l’ensoleillement de toutes les feuilles. Couper en juin selon la flèche noire. Ne pas défolier les feuilles des pousses restantes.
Si rien ne se passe dans cette zone au printemps, défolier la zone 3 début-juin ce qui a pour but de faire émerger des bourgeons en arrière.
Si aucun bourgeon n’apparait malgré la défoliation (dans la zone cerclée de noir), le rameau sera coupé comme indiqué par la flèche noire au printemps suivant, forçant l’arbre à réagir (avec le risque de perdre tout le rameau jusqu’à la branche secondaire en amont).
Sur l’ensemble des zones : pincement à la première paire de feuilles. Veiller à ce que toute les feuilles reçoivent le soleil.
Sur la zone 2 : ne pas défolier, à priori, ce rameau en équilibre.
Ce travail doit se répéter sur toutes les zones de l’arbre.
Cette taille de fin d’hiver (comme celle d’été) est une taille nuancée et qualitative. Ces deux tailles donnent du sens à notre travail et ne pourront être pratiquées que si nous sommes à l’écoute de notre bonsaï.
5) En résumé et chronologiquement, voici les gestes que nous réaliseront année après année :
— Taille de fin d’hiver avec sélection des rameaux juste avant le gonflement des bourgeons,
— Pincement printanier à la première paire de feuilles,
— Défoliation fin-mai début-juin,
— Taille d’été avec sélection des rameaux et des bourgeons après défoliation,
— Pincement des rameaux d’été à la première paire de feuilles.
6) A part et pour mémoire, la taille de structure :
Elle est pratiquée à la fin de l’hiver et l’année d’un rempotage. cette taille a pour but de retirer un volume de branchage important.
4) Les autres gestes de culture :
* L’exposition :
Placez l’arbre au soleil tout au long de l’année en le tournant très régulièrement sur toutes ses faces. Cette règle est valable à tous les stades de formation du sycomore. Elle revêt encore un peu plus d’importance lorsqu’il s’agit d’élaborer une ramification fine et suggestive.
les feuilles printanières et celles issues de la défoliation doivent bénéficier du soleil (action toute relative sur la longueur des entre-noeuds et la taille des feuilles). Il faudra alors être vigilant sur le rythme des arrosages.
On peut ombrager légèrement l’arbre aux heures les plus chaudes des mois d’été.
Il est inutile de protéger le sycomore en période hivernale. Il résiste bien aux températures basses, voire très basses (jusqu’à -15°C pour mon expérience). Au plus fort des froids hivernaux, nous pourrons protéger le pain racinaire selon les recettes habituellement proposées (écorce de pin...). Personnellement, j’emmaillote le pot jusqu’à la base de l’arbre avec des tissus usagés !
* L’arrosage :
L’arrosage sera abondant afin de bien imbiber l’ensemble du substrat. Il sera renouvelé lorsque la terre s’asséchera (et non se desséchera).
La réduction du rythme des arrosages s’impose en période hivernale et lors de la défoliation.
La réduction draconienne de l’arrosage, lors et après le débourrement, me semble dangereuse car les nouvelles feuilles flétrissent vite et/ou sèchent partiellement voire totalement. La marge, entre le bénéfice attendu et le risque d’altération du tissu végétal, est finalement assez étroite. Là encore, l’expérience acquise au fil des années vous apportera les clés du gain escompté.
Enfin pour mémoire, n’oublions pas les paramètres influant le rythme des arrosages : les travaux réalisés (par exemple les tailles ou la défoliation), les saisons, l’ensoleillement, la température, le vent, les carctéristiques propres à votre arbre et la qualité du substrat.
La fréquence des arrosages est liée au substrat, sa composition et sa granulométrie. J’utilise personnellement l’Akadama pure de granulométrie moyenne, certes par habitude, mais aussi parce que les sycomores semblent s’y complaire et que cela correspond bien à mon rythme de vie (pour la fréquence des arrosages).
* L’amendement :
En ce qui concerne l’engrais, distribution généreuse pendant la période de structuration de l’arbre ; de toute façon les jeunes pousses sont assez épaisses et grossières. Par la suite, la quantité d’engrais sera plus raisonnable, voire restreinte lorsqu’il s’agira d’élaborer une ramification de niveau 3 pui 4 avec des entre-noeuds courts.
Enfin, n’oublions pas qu’il est nécessaire de donner de l’engrais à un arbre lorsqu’il subit des travaux sur le tronc, les branches ou les feuilles quand bien même nous désirons réduire la taille des feuilles et des entre-noeuds.
5) l’esthétique :
Le sycomore bonsaï trouvera sa pleine expression dans la forme droite informelle, les formes à troncs multiples et les groupes d’arbres de trois à cinq sujets.
Il est peu probable de pouvoir créer des sycomores au feuillage épars réparti en petites masses foliaires en raison des caractéristiques propres à cette espèce. Nous élaboreront donc des arbres à feuillage compact ; il sera nécessaire d’en tenir compte lors de la structuration de l’arbre et dans l’agencement des branches.
6) De la taille des feuilles... à la grandeur d’âme du bonsaïka :
Nous n’avons pas abordé, jusqu’à présent , le sujet de la taille des feuilles du sycomore bonsaï. Et pour cause ; il n’y a aucune raison objective à chercher à miniaturiser des feuilles lorsqu’un arbre est en cours de structuration. Pourtant, nous utiliserons assez rapidement en cours de structuration, des techniques susceptibles de réduire les feuilles (mais pour des raisons différentes).
Viendra le moment où il sera logique et pertinent d’harmoniser la taille des feuilles à celle de l’arbre.
Le réglage entre l’arrosage, l’amendement et l’ensoleillement est la clé de voûte de la réuction de la taille des feuilles. S’y associent, sur un arbre de moyenne à grande taille :
* La défoliation efficace mais pas suffisante en soi, associée à la réduction de l’arrosage et des quantités d’engrais,
* Du soleil sur toutes les faces de l’arbre,
* La conservation d’un nombre important de rameaux et de bourgeons afin de répartir l’énergie sur toutes les pousses donc les feuilles en évitant que l’arbre s’emballe,
* La coupe des feuilles les plus grandes et mal placées lors de la présentation en exposition ou dans le tokonoma.
Pourtant, malgré tous nos efforts, la taille des feuilles restera supérieure aux canons de l’harmonie et de la beauté.
Mais... si le bonsaï est le reflet de soi, ... si le bonsaï a cette fascinante capacité à susciter un sentiment, alors les feuilles de votre sycomore vous tendront la main et votre bonsaï sera à l’image de vos sentiments : beau et grand.
Le sujet sur le forum : http://www.parlonsbonsai.com/forums/index.php/topic/41394-erable-sycomore/